Directeur du musée national irakien en 2009
Le Dr Munir Taha: “La sauvegarde de l’héritage archéologique de l’Irak, tributaire du retrait de l’occupant”

Rouvert, officiellement, le 23 février 2009 par le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, le Musée national de l’Irak est un témoin incontestable des époques glorieuses ou noires vécues par le pays. Pillé et saccagé lors de l’invasion de l’Irak en 2003, le musée, réputé pour être l’un des plus riches au monde, a été fondé en 1926 par l’auteure et voyageuse britannique, Gertrude Bell. D’abord, connu sous le nom du Musée archéologique de Bagdad, il retenait jalousement entre ses murs des pans de la mémoire collective du peuple irakien et de l’histoire des anciennes civilisations en Mésopotamie. Aujourd’hui mutilé d’une partie de ses trésors, le musée qui abritait il y a quelques années seulement les collections les plus importantes au monde, notamment des vestiges datant de plus de 5.000 ans et exposés dans 28 galeries, est toujours en danger, à l’instar des multiples sites archéologiques disséminés aux quatre coins du pays.

photo Dr Munir Taha: “Les Irakiens sont soucieux de préserver leur héritage”.

photo Façade du Musée de Bagdad.

En effet, selon le Dr Munir Taha, directeur du Musée d’Irak et des explorations archéologiques, la sauvegarde du patrimoine archéologique irakien demeure tributaire de deux facteurs essentiels: d’abord, le retrait des forces d’occupation et le retour à la paix; ensuite, le respect des règlements et normes concernant la préservation de cet héritage colossal.
A Beyrouth, à l’invitation de Mme Dédé Hourani pour animer une conférence exceptionnelle au Selecteum des Arts et des Sciences sur l’histoire du musée de l’Irak et de la civilisation sumérienne née en Mésopotamie, ce savant de notoriété internationale, est revenu le temps d’une brève rencontre avec La Revue du Liban, sur l’état des lieux du patrimoine archéologique en Irak. Entretien.

Situation catastrophique
Comment décrivez-vous l’actuelle situation du patrimoine archéologique en Irak?

En ce qui concerne le musée national, la situation est toujours aussi catastrophique. Je suis extrêmement préoccupé quant aux collections et pièces exposées. Le musée a été, officiellement, rouvert une deuxième fois au mois de février 2009, mais je crains qu’il soit pillé encore une fois, d’autant que l’instabilité sécuritaire prévaut, notamment à Bagdad.
Pour ce qui est des sites archéologiques, le pillage et le déterrement anarchique des vestiges se poursuivent. D’ailleurs, on retrouve exposées sur le marché international, tout comme dans les pays voisins de l’Irak, de remarquables et inestimables pièces en provenance des multiples sites irakiens volés et saccagés. Malheureusement, il n’existe aucune politique de coopération pour préserver le patrimoine archéologique, que ce soit en Irak ou dans les pays avoisinants.
Quelles ont été les mesures prises par les autorités irakiennes pour freiner ce pillage systématique?
En fait, aucune démarche n’a été prise ou décidée. Tout est arbitraire. Par ailleurs, un des grands problèmes auquel les Irakiens sont confrontés, relève du fait que l’Unesco et Interpol exigent des preuves, des indices et des certificats (ndlr: documents relatifs à l’enregistrement des pièces-numéro, description, époque etc.). Et ce, chaque fois qu’on leur demande de récupérer certaines pièces, à l’heure où beaucoup de celles présentes sur le marché noir, sont extraites et volées de sites isolés et non encore fouillés, donc non encore classifiés ou répertoriés.

photo Couverture des ouvrages.

photo Couverture des ouvrages.

8.000 des 15.000 pièces pillées ont été récupérées
Combien de pièces ont été récupérées?

D’après les autorités irakiennes, sur les 15.000 pièces pillées et vendues au marché noir, 8.000 ont été récupérées.
Et d’après vous...

Je crois que les pièces pillées dépassent largement le seuil de 15.000...
Quels sites ont été pillés?

Il existe plus de 15.000 sites archéologiques officiellement proclamés en Irak, mais il existe beaucoup de sites non encore reconnus en tant que tels. Cela dit, ce sont les sites les plus isolés qui sont sujets au pillage. Sachant qu’il y a, également, des sites déjà fouillés qui ont été volés parmi lesquels Our, soumis à un blocus durant trois ans et mis à sac à la fois par les forces d’occupation et les pilleurs.
Idem pour Babylone qui, avant d’être remis aux autorités irakiennes, a été occupé par les forces polonaises qui ont empêché tout Irakien, y compris les responsables du site, d’y rentrer. Cela dit, en dépit des destructions et du saccage de deux sites, personne n’a levé le doigt.

Les autorités incapables de protéger les sites
Comment les autorités irakiennes ont-elles réagi, surtout qu’il s’agit de l’héritage et du patrimoine culturel du pays et donc de la mémoire collective du peuple irakien?

Les autorités irakiennes ont essayé de sauver ce qui en reste, mais elles sont incapables de protéger les sites. Trop souvent, la voix de l’occupation est toujours plus forte que celle des autorités, qui ne souhaitent, ni embarrasser, ni coincer l’occupant. Du coup, ce sont elles qui endossent la responsabilité. Entre-temps, les sites se sont transformés en un champ libre où les voleurs et l’occupant font ce qu’ils veulent. Parfois, ce sont les forces d’occupation qui saccagent et volent les sites. C’est une grande blessure qui a meurtri l’Irak.
Comment pallier cette situation?

Le règlement reste tributaire de plusieurs facteurs: d’abord, le départ des forces d’occupation américaines d’Irak; ensuite, la restructuration du musée et des responsabilités de la direction des antiquités, ainsi que le retour à l’ancien système de gestion de ce patrimoine.
L’Irak, je tiens à le rappeler, est l’un des pays les plus vigilants au Proche-Orient, en ce qui concerne le trafic des vestiges. Les Irakiens sont soucieux de préserver leur héritage. Cependant, après l’occupation notamment le blocus, les gens, disposant de peu de moyens et étant donné la situation économique, ils ont trouvé dans le pillage des sites et la vente des vestiges un moyen pour assurer leur survie.

Trésors inestimables
Peut-on quantifier, voire chiffrer, la valeur des vestiges pillés?

Il s’agit de trésors inestimables. D’ailleurs, il est impossible d’avancer des chiffres. Le marché noir est un vrai casse-tête pour les pièces artistiques et archéologiques.
Est-il possible de retracer le circuit et de définir la destination finale des pièces pillées?

Il en existe plusieurs: il y a, d’abord, les collections privées; ceux qui achètent du marché noir et cachent les pièces pour les revendre après à un prix plus avantageux. Il y en a, également, qui font des acquisitions dans l’espoir de rendre un jour les pièces. Mais ces derniers deviennent de plus en plus rares, tout comme ceux qui avertissent de l’existence de pièces volées sur le marché. Ceux qui cherchent le gain et les collections privées, sont ceux qui profitent le plus de cet état des lieux. D’ailleurs, il y a certains musées qui achètent les pièces pillées. Preuve en est que la presse israélienne a révélé, il y a quelques jours, que l’Etat compte rendre à l’Irak les pièces volées en sa possession. La presse a publié des photos de vestiges volés, dont un buste d’une femme sumérienne de Mésopotamie datant de 2.700 av. Jésus Christ.
Les autorités irakiennes n’ont-elles pas défini une stratégie scientifique et pratique pour mettre fin à ce pillage?

Jusqu’à présent, il n’existe aucun plan pratique ou scientifique pour contrer ce problème, car pareil plan nécessite des sommes colossales, un énorme budget comme auparavant. Les gardiens des sites devaient répondre devant les contrôleurs qui effectuaient des patrouilles et des rapports périodiques.
Par ailleurs, le gouvernement irakien accorde davantage la priorité à la sécurité et à la stabilité, qu’aux vestiges archéologiques. De leur côté, les experts considèrent que la sécurité passe par la protection du patrimoine. L’instabilité étant due en grande partie au chaos qui règne dans le pays, aux vols et à l’accès aux sites archéologiques impunément. D’ailleurs, le laxisme des autorités irakiennes et la présence au pouvoir de personnes impliquées, voire bénéficiant de ces vols, ont conribué au pillage systématique de l’ensemble des sites du pays.
Comment évaluez-vous les politiques culturelles dans le monde arabe?

J’ai travaillé, fouillé et enseigné dans une dizaine de pays arabes. Ce que je peux dire est que dans les pays pauvres, le chaos prévaut. Comme au Yémen, où certains chefs claniques, défiant les autorités, mettent leurs mains sur certains sites, se les approprient avant d’en vendre les vestiges. Parallèlement, les pays jouissant d’une certaine aisance financière, à l’instar des pays du Golfe, ne lésinent pas sur les moyens qu’ils mettent à la disposition des missions de fouilles ou d’études. Toutefois, la conscience culturelle et archéologique est, malheureusement, quasi-inexistante. J’ai participé à des fouilles aux Emirats arabes unis. La mission à laquelle j’ai pris part a découvert des richesses insoupçonnées; cependant, les responsables n’ont pas cru malheureusement que ces vestiges ont été extraits du sol émirati. Bien que je tienne à le signaler, toute la région du Golfe abrite des trésors archéologiques, car elle servait de centre de redistribution des anciennes civilisations, de plaque-tournante entre la Mésopotamie, la péninsule arabe, l’Egypte, la Chine et l’Afrique. Les grands historiens grecs et romains ont évoqué les sites de la péninsule arabe. Ptolémée a même dessiné une carte des villes et sites de la région 150 après J.C. D’ailleurs, des contrats datant de l’Epoque sumérienne au troisième millénaire av. J.C. et faisant état de l’existence de commerce entre la Mésopotamie et les différentes zones du Golfe arabe, ont été découverts en Irak.
Comment sensibiliser les peuples arabes à cet héritage culturel et humanitaire?

Les médias, certes, ont un rôle à jouer. L’organisation, à cet effet, de conférences, tables rondes et programmes culturels n’est pas à négliger, aussi. Il est nécessaire que les populations arabes sachent que ces trésors sont extraits de leur propre zone géographique et ne sont pas importés; qu’il est inadmissible que quelqu’un prétende se les approprier. Ceci ne sera pas possible, sauf si les médias, presse écrite et audiovisuel, couvrent systématiquement et de façon régulière les opérations de fouilles et les découvertes y relatives.

Micheline Abi-Khalil
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4265 - DU 5 AU 12 JUIN 2010
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