Une personnalité exceptionnelle, constante pionnière
du culte de la concorde et de l’entente nationale:
le président de l’Ordre des journalistes, Melhem Karam

Son père, Karam Melhem Karam, habitait le quartier Ras el-Nabeh, il y a plus de soixante ans. Là aussi, il avait la maison d’édition “Dar Alf Leila Wa Leila”. J’ai eu la chance de rencontrer l’auteur chez un ami commun qui habitait le même quartier, il appartenait au monde de l’imprimerie: feu Elias Hatoum.

Savoir que Karam Melhem Karam était là, lui-même en personne, l’auteur des romans fascinants que je dévorais, dès ma prime jeunesse, m’a rempli de joie à le rencontrer, à lui serrer la main, avec le même engouement qui m’a poussé à lire ses romans. Et de plus, qu’il était le père de jeunes gens de mon âge et, aussi, qu’il est originaire du Chouf, terre glorieuse d’histoire et voisine de mon village natal, Beiteddine.
Je n’ai pas attendu longtemps pour connaître ses enfants. Les bancs de la faculté française de droit, rue Huvelin, nous avaient réunis: Melhem, son frère Issam et moi-même. A mon engouement à lire les romans du père, se substituera une fascination à connaître ses fils.
La cafétéria de la faculté de droit était le lieu de rencontre où les étudiants, toutes années confondues, se retrouvaient échangeant des propos.
Des discussions émergeaient et des critiques ne ménageaient ni fac, ni profs, ni camarades, notamment les filles, les films de la semaine, effleurant parfois le père chancelier, R.P. Pierre Mazas, bien sûr avec tous les égards et l’amour que nous avions tous pour sa personne.
Les problèmes de la société de l’époque, pour un pays qui venait à peine d’accéder à l’indépendance, se voyaient démesurément compliqués et quasi irréductibles par les séquelles du drame de la Palestine et l’exode qui en avait suivi, pesant lourdement sur le Liban, plus que sur tout autre pays arabe.
La dure disparition de Melhem Karam très profondément ressentie par ses collègues et amis, a éveillé en un instant dans ma mémoire, une foule de souvenirs que je croyais profondément enfouis.
Et voilà que défilent, sur l’écran du souvenir, des figures et des visages, que séparaient en ce temps révolu, au moins cinq ans d’intervalle.
Les noms suivants d’étudiants me revenaient fort mélangés: Michel Eddé, Kamel el-Assaad, Mikhaël el-Daher, Mohamed Youssef Baydoun, Edmond Rizk, Salim Boutros el-Khoury, Denise Gebara, Abdel-Latif el-Zein, Maurice Akl, Georgine Eddé, Salim Abi-Nader, Hani Baydoun, Monah Mitri, Khalil Osta, Maurice Khawam, Mounir Honein, Massoud Rennou, Raymond Chédid, Georges Khadifé, Toufic Hamadé, Bahige Tabbara, Roland Abou-Jaoudé, Adnan Kassar, Adel Kassar, Camille Menassa, Béchara Menassa, Milia Jabre, Souad Tabbara, Hassan Refaat, Fouad Tehini, Michel Madcour, Sami Aoun, Faouzi Ouaïdate, Joe Tabet, Chawki Chaaban, Assaad Germanos, Nouhad Germanos, Wadih Akl, Mustafa Ghotaïmi, F. Abi Saleh, Habib Mahfouz, Michel Sarkis et tant d’autres.
Ce défilé subit de noms, me portait à croire, qu’eux aussi tout comme moi, se sont sentis affectés par son absence, en dépit des effets du temps, du brouillage des souvenirs, de l’éparpillement des adresses et des lieux.
Cher Président! Chacun de ces collègues étudiants a suivi, comme vous le chemin du devenir, suivant, chacun de son côté, sa prédilection de choix. Il y a eu parmi eux des ministres, des députés, un président d’assemblée, un évêque, des professeurs, magistrats, ambassadeurs, administrateurs, hommes d’affaires.
Certains sont morts, ils vous ont devancé dans les lieux célestes, où vous anime à tous maintenant d’en haut une volonté unanime d’intercession en faveur du Liban auprès du Seigneur, dont vous êtes déjà les élus.
Tous morts ou vivants, ont œuvré au service de la nation, pour affronter les dangers de toutes sortes qui la menacent dans son entité ou son intégrité.
Quant à vous, mon cher président, vous avez choisi la presse, comme moyen de lutte, emporté à son monde par une prédestination innée, tel un de ses plus preux chevaliers, transmettant le message à tous ceux que cela concerne: hauts responsables ou simples citoyens, individus, ou groupes, arabes ou étrangers.
Message de la démocratie au Liban, message d’ouverture et de fraternité, émanant de votre personne, message du verbe libre, de la dignité nationale, message du Liban arabe, que vous n’avez cessé de proclamer, un demi-siècle durant, d’où fusait tout votre amour des gens de la presse, les vôtres, - toutes tendances et couleurs confondues - et une disponibilité totale à défendre farouchement leurs droits, ce qui les a portés à vous faire trôner sur leur cœur tel un frère, un collègue, un camarade fidèle, qui a mérité d’être leur président 50 années consécutives.
Mon cher président, confident des rois, des princes et des présidents, vous-même prince élu de la presse libanaise et arabe.
Il est impossible, en quelques mots, de rappeler la multitude d’actes de soutien et de défense que vous avez prodigués aux collègues, les rédacteurs de presse, avec le même enthousiasme que pour défendre la cause de la nation.
Je m’astreins à ne citer que deux actes que j’ai vécus personnellement: le premier lorsque les bureaux de l’Ordre des rédacteurs de Presse, alors à Lazarié - furent grands ouverts pour accueillir et soutenir le comité de sauvegarde du patrimoine présidé par feu Mme Margot Tyan au club de Beiteddine. Vous avez présidé, personnellement, la conférence de presse pour promouvoir les activités du comité et sa décision de célébrer l’indépendance du Liban, la veille du 22 novembre 1974 au palais de l’émir Amine à Beiteddine, sous le patronage du président Sleiman Frangié.
Tout était prévu: salles, tables basses, musique et danses du terroir. Il était de rigueur de venir en tenue libanaise traditionnelle: lebbadé et chiroual pour les hommes, tantour et voile pour les dames. Tout cela, dans un climat de grande joie et des chants nostalgiques du terroir, le 2ème que j’ai vécu, vingt ans après le premier. Ce jour-là, les bureaux du syndicat, alors à Achrafieh où, à côté de feu le Dr Khattar Chebli, président du Conseil national des anciens fonctionnaires, vous avez présidé une conférence de presse pour réclamer les droits légitimes méconnus des anciens fonctionnaires de l’Etat; votre verbe véhément a fait croire à beaucoup de personnes présentes, que vous aviez un intérêt personnel à soutenir.
Reposez en paix sur le flanc des collines de Deir el-Kamar, capitale de Fakhreddine où reposent encore d’autres grands qui ont façonné la gloire du Liban.
L’école que vous avez fondée et patronnée, persévèrera comme vous à investir dans la dynamique médiatique, le précieux fond de culture juridique, qui a fait de notre capitale la mère des lois. Cette école de la rencontre, du respect mutuel, d’ouverture et de connaissance de l’autre, de défense de ses droits, restera pionnière en science sociale pour implanter le culte de la concorde et de l’entente nationale authentique, culte séculaire au Liban, avant, durant et après Taëf et jusqu’à la consommation des siècles.

EMILE ABI-NADER
Président d’honneur du club de Beiteddine,
ancien directeur de Golden Tulip

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4268 - DU 26 JUIN AU 3 JUILLET
Editions Speciales Numéros Précédents Contacts Recherche