Figure emblématique de l’horlogerie suisse, Nicolas G. Hayek, créateur de la célèbre Swatch, est décédé lundi dernier brutalement d’un arrêt cardiaque, dans son bureau de Bienne (canton de Berne, Suisse), au siège du groupe qu’il a hissé au rang de numéro un mondial de l’horlogerie. L’entrepreneur, âgé de 82 ans (il est né le 19/2/1928), est considéré comme l’un des plus grands entrepreneurs du monde, au même titre que Bill Gates, Steve Jobs ou Ingvar Kamprad, fondateur d’Ikea.

Avec seulement 2000 frs en poche, Nicolas Hayek,
d’une rare intelligence, a réussi à bâtir un empire.
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D’origine libanaise, le père de la célèbre montre en plastique au design coloré et sans cesse renouvelé est, en effet, considéré comme l’artisan du redressement de l’industrie horlogère suisse avec le lancement, en mars 1983, de la montre Swatch. Un objet devenu culte tant par son look, que par sa portée révolutionnaire. D’ailleurs, 400 millions d’exemplaires ont été écoulés dans le monde jusqu’à ce jour.
Installé en Suisse depuis 1949, Nicolas Hayek dont les débuts étaient fort difficiles, comme il l’a confié à La Revue du Liban lors d’une interview exclusive (novembre 2002), fusionne dans les années 80 deux horlogers en difficulté Asuag et SSIH et crée le Swatch Group qu’il préside depuis 1986. Son génie réside dans le fait qu’il a su industrialiser la production horlogère suisse, au moment où celle-ci souffrait de la concurrence japonaise avec l’arrivée du quartz.
Outre la gamme des montres abordables et fantaisistes à laquelle se sont ajoutés, récemment, les bijoux, son groupe détient également une vingtaine de marques aussi prestigieuses, telles Breguet, Blancpain, Longines, Calvin Klein, Certina, Hamilton, Tissot ou encore Omega, dont Cindy Crawford et Nicole Kidman sont les égéries. Sa force réside, aussi, dans sa complète maîtrise de la chaîne de fabrication des composants horlogers, en particulier du mouvement, le cœur de la montre. Par ailleurs, le groupe emploie 24.000 personnes et génère un chiffre d’affaires de plus de 5 milliards de francs suisses (environ 2,38 milliards d’euros).
Eclectique, positif et surtout énergique, le patron du premier groupe mondial d’horlogerie a, également, lancé la swatchmobile, la voiture écolo, qui a donné plus tard naissance au concept de la Smart, développé avec Mercedes.

Energique et éternel optimiste,
s’est éteint à l’âge de 82 ans.
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Éclectique et optimiste
Optimiste, le riche octogénaire qui s’est exprimé, il y a peu sur les pages du quotidien helvétique Le Temps, en marge du 38ème salon Baselword, a estimé que le succès de son groupe tient “à une culture d’entreprise fondée sur la simplicité et le respect du personnel” mais, également, à une gestion d’une extrême rigueur qui exclut les dettes et les salaires abusifs.
Soulignant que le salon de Baselword “permet seulement de dégager les tendances” du fait que “les commandes ne sont pas fermes et, surtout, sans date de livraison fixe”, ce Beyrouthin de souche s’attendait à ce que son entreprise franchisse les 10 milliards de francs suisses de chiffre d’affaires à l’horizon 2015. Soit deux fois plus qu’actuellement.
Bien que sa disparition fut soudaine, l’homme d’affaires avait préparé sa sucession en cédant, en 2003, la direction opérationnelle du groupe à son fils Nick et en installant sa femme et sa fille, Nayla à des postes-clés.
D’ailleurs, l’avenir du groupe Swatch est désormais assuré. Dans un communiqué publié, il a, en effet, précisé que “M. Nicolas G. Hayek a su garantir également, par des décisions personnelles, que ses idées et ses conceptions subsistent et que la continuité, aussi bien au niveau de l’actionnariat et de la Direction générale soient assurées.” Sans s’étendre davantage sur les circonstances de son patron, le groupe a salué les “immenses services dans le sauvetage de l’industrie horlogère suisse” rendus par l’entrepreneur qui a, aussi, largement contribué “à la création et au développement de Swatch Group”.
Cela dit, le conseil d’administration de Swatch a nommé mercredi la fille du fondateur du groupe suisse, Nayla Hayek au poste de présidente en remplacement de son père, une décision favorablement accueillie par les analystes. Jusque-là présidente, Nayla “dispose de nombreuses années d’expérience au sein du conseil d’administration et a été préparée à cette fonction au cours des dernières années” a indiqué Swatch dans un communiqué.
“La nomination de Nayla Hayek était la deuxième solution la plus probable après l’option d’un double mandat du fils Nick Hayek, actuellement directeur général du groupe” a indiqué à l’AFP, Patrick Hasenböler, analyste à Sarasin.
Avec la nomination de sa sœur Nayla à la présidence, “Nick devrait rester au poste de directeur général pendant plusieurs années, c’est une bonne nouvelle”, a-t-il renchéri avant de considérer toutefois que bien que Nayla est membre du conseil d’administration depuis 1995 et vice-présidente depuis cette année, elle n’est pas assez connue du public. Et c’est précisément pour cette raison que “les marchés ne devraient pas trop réagir” à cette nomination a-t-il encore ajouté.
Notons que l’action Swatch a légèrement reculé de 0.42% à 305.90 francs suisses, en ligne avec un marché en baisse de 0.39%. Pourtant le groupe de Bienne a relativement bien surmonté la crise financière. En 2009, Swatch a réalisé un bénéfice net en baisse de 8.9% à 763 millions de francs suisses et des ventes en recul de 6.3% à 5, 421 milliards.
Le génie de Nicolas Hayek est d’avoir réussi à industrialiser la production horlogère suisse.
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Le siège du Swatch Group à Bienne dans le canton de Berne.
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La vie a un goût sensationnel
Nicolas Hayek qui a déclaré encore, récemment au Figaro, avoir “bu la vie comme un assoiffé et je peux vous dire qu’elle a un goût sensationnel”, a reçu de nombreuses récompenses dans sa carrière. Il a ainsi été distingué en Autriche, en Suisse notamment, par la ville de Bienne où siège le groupe mais, aussi, en France où il a reçu les titres d’Officier de la Légion d’honneur et Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Selon le magazine américain Forbes, M. Hayek a été classé au 232ème rang des milliardaires dans le monde avec une fortune estimée à 3,9 milliards de dollars (l’équivalent de 3,2 milliards d’euros).
Dès l’annonce de la triste nouvelle, les réactions ont fusé de toutes parts. Le patron du groupe Hublot, Jean-Claude Biver a salué “un faiseur” d’idées, éternel optimiste qui était également dur en affaires. La presse suisse a salué la mémoire de cet “homme d’exception”. “Hayek, le visionnaire rattrapé par le temps” a ainsi titré La Tribune de Genève. Pour le quotidien 24 heures, “la Suisse perd son Napoléon, le patron boussole d’une époque tourmentée, l’immigré qui aura ravivé le génie de ses pères fondateurs. Cabotin, excessif, égotiste, le Beyrouthin de Bienne aura, d’abord, été un bienfaiteur”.
Rappelant que Nicolas Hayek est celui qui a transformé la montre en “un accessoire de mode”, Le Matin a écrit “Le génie de Nicolas Hayek a été de reconquérir le bas de gamme détenu par les horlogers asiatiques, avant de bâtir une pyramide de 19 marques en épurant les collections… La Suisse est orpheline. Pas seulement de la montre, mais de l’audace aussi”, conclut le quotidien. |