La saison de l’été met en exergue les embouteillages sur toutes les routes du Liban et nous ramène à l’éternel problème auquel nous avons droit
chaque matin et après-midi durant les heures de pointe. Chaque année, le déplacement dans les rues de Beyrouth semble de plus en plus difficile.
Les embouteillages mettent les citoyens à bout de nerfs, énervés par les retards et les dépenses d’essence. Comme dans tous les pays du monde,
le secteur des transports constitue un pilier vital pour l’échange commercial, industriel et de service au Liban. Ce secteur s’est nettement
développé dans les dernières décennies, accompagné d’une croissance fulgurante du nombre des voitures, des camions et des motos. En 1960, le
Liban comptait quelque 55.000 véhicules alors qu’aujourd’hui, le nombre frôle le chiffre d’1.250.000.
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Des panneaux de signalisation qu’on ne respecte pas.
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Il est ainsi évident qu’avec le
nombre croissant de la population
et du parc national des véhicules,
le réseau routier ait augmenté en
volume bien que certaines routes
ne soient pas équipées ou
conformes aux normes
internationales.
“Que ce soit au niveau du nonrespect
du code de la route, des
insultes au volant et de tous les autres plaisirs que
nous offre la conduite au Liban, la situation
actuelle semble de plus en plus désespérée”,
raconte M., excédé par les désagréments que
procurent les embouteillages. Cela va sans
dire, ces derniers ont de
nombreuses conséquences
économiques, sociales et
écologiques, car le temps
passé dans les embouteillages
est majoritairement considéré
comme perdu, n’étant utilisé
ni pour le travail, ni pour les
loisirs. La pollution, ainsi que
diverses maladies résultent
de l’atmosphère lourde et
humide des autoroutes
chargées par l’odeur des gaz
d’échappement et envahies
par le bruit des klaxons.
L’anecdote selon laquelle les
Libanais arrivent toujours en
retard finit par devenir une
problématique essentielle à
l’origine même de leur propre
malaise, car depuis quelques
années, le nombre et l’ampleur
des embouteillages sont
globalement en
augmentation. Paradoxalement, les longs
trajets embouteillés sont des désordres
organisés. “Rien ne semble réfléchi, projeté.
Chacun avance droit sans regarder autour de soi.
Au volant des voitures, que ce soit une Mercedes
ou une Jeep, chaque conducteur veut avancer plus
vite que les autres, sans se soucier de respecter la
priorité. Les carrefours sont des imbroglios de
véhicules. Pourtant, l’embouteillage finit par se
résorber et chacun finit par avancer malgré tout”.
Quelle en est la cause? Lorsqu’il y a des
bouchons de circulation à l’heure de pointe, il
faut bien qu’il y ait quelque chose qui les
déclenche. Les embouteillages ont-ils un
début? Une fin? Pourquoi toutes les voitures
ralentissent-elles au même endroit et
repartent-elles par vagues?
Les causes, en fait, sont multiples. La
principale étant l’augmentation du trafic des
voitures, celles-ci étant un moyen de transport
privilégié pour la liberté de déplacement des
individus. Le mauvais état de certaines
infrastructures les favorise également, ainsi
que le style de conduite qui peut être un
facteur aggravant.
De nouvelles lignes qui se créent.
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Des places de parking sur les autoroutes principales.
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CDR vs TRavaux publiCs eT TRanspoRTs
Avec ses embouteillages et son nuage de
pollution, la capitale libanaise souffre des
inconvénients des grandes métropoles
mondiales. Ces dernières ont parfois choisi
des solutions radicales: une taxe pour
conduire dans le centre-ville à Londres ou la
circulation alternée à Milan. Et toutes misent,
également, sur l’amélioration et la promotion
des transports en commun.
Mais Beyrouth n’est ni Milan, ni Londres. Les
déplacements reposent ici sur l’armada de
taxis-services et de minibus, sans itinéraire
fixe, s’arrêtant n’importe où sans se soucier
des autres véhicules. Ces derniers n’en sont
pas arrivés là en un jour. La guerre de
1975-1990 a totalement désorganisé les
transports publics libanais. Jadis, l’Office des
chemins de fer et du transport en commun
(OCFTC) était l’un des services publics les
plus profitables. Mais en 1975, un seul des
cent trente huit bus a continué à rouler.
Ensuite, les bus achetés en 1982 ont été
détruits lors de l’invasion israélienne. A la fin
de la guerre, seuls trente véhicules sillonnaient
la ville.
En 1995, la LCC, une compagnie privée,
démarre ses activités avec vingt-cinq véhicules
et compte, fin 1996, cent quatre-vingt bus. Son
réseau de bus rouges est certes efficace, mais
surtout très polluant. En 1997, le gouvernement
valide l’achat de deux cents bus en faveur de
l’OCFTC… qui reposent en paix depuis
longtemps à Mar Mikhaël. Une acquisition
dénuée de sens, les véhicules
choisis étant inadaptés aux
conditions climatiques
libanaises. Trois ans plus tard,
le puzzle se complique, avec le
don de trente-sept bus par les
Emirats arabes unis.
Conscient de ces
dysfonctionnements, le
ministre des Transports, Ghazi
Aridi, avait d’ailleurs présenté
au Conseil des ministres, sous
le gouvernement Hariri, un
projet détaillé pour améliorer
la situation des transports en
commun, en commençant par
appliquer le décret de 2004.
Mais jusqu’à maintenant,
aucune décision n’a été prise.
Le Conseil de développement
et de reconstruction (CDR) et
le ministère des Travaux
publics et des Transports sont
loin de faire cause commune.
Au coeur des litiges, la maintenance des
travaux effectués et le contrôle des projets du
CDR. Ces institutions se renvoient la balle
quant aux responsabilités de l’état actuel du
transport au Liban, cachant peut-être, en
second plan, une bataille financière. Selon son
site Internet, “tous les dossiers relatifs aux
projets de la ville de Beyrouth et l’échelle du pays
ont été transférés au CDR”.
ConDuiRe à la libanaise
“Au Liban on conduit comme des sauvages”.
Joanna, employée de 35 ans, résume la pensée
de tous ceux qui circulent sur les routes d’un
pays où la mauvaise conduite notoire fait décrocher un record d’accidents dans la
région. “Ça marcherait sans doute s’il n’y avait
pas d’abrutis à se faufiler entre les files, faisant
freiner les véhicules pour conserver les distances
de sécurité et finalement perturbant l’écoulement
de la file de véhicules. Le moindre ralentissement
d’un véhicule provoquant, en effet, un
ralentissement plus important du véhicule à
l’arrière et ainsi de suite jusqu’à l’arrêt complet à
quelques centaines de mètres derrière. Souvent ces
ralentissements sont provoqués par un véhicule en
panne, un contrôle de police, un accident sur les
voies d’en face, un camion qui double un
camion.”
Manque ou mauvais entraînement: depuis
trente ans jusqu’aujourd’hui pour recevoir un
permis de conduire, il suffit juste d’ajouter un
billet de 50 dollars dans la poche de la
personne responsable et le permis arrive le
même jour sans même passer l’examen. Il n’y
a aucun test à faire et les soit-disant auto
écoles sont juste des bureaux qui entraînent
pendant quelques heures. Donc aucun dossier
à remplir.
D’un autre côté, il est commun d’appeler la
route principale côtière “autoroute”.
Cependant, si on se réfère à la définition
même de l’autoroute, on a la surprise de voir
des magasins de côté, dont les places de
parking génèrent souvent des embouteillages.
On n’abordera pas la question des passants et
de leur survie, cela sera pour une autre fois.
Autre particularité, les lignes de circulation:
autoroute à deux voies de circulation? “On ne
pourrait pas le dire au Liban, selon Carine, en
plein embouteillage, de nouvelles lignes se créent,
obligeant les automobilistes bien dans leurs lignes
à se décaler sinon gare à l’accident”.
Elie, étudiant en finances, prend chaque matin
l’autoroute de Maameltein pour se rendre à
ses cours d’été à Jbeil. Il nous fournit une
illustration complète: circulation bouchée,
chauffeurs indisciplinés, véhicules particuliers
mal stationnés… et les amendes ne tombent
pas immédiatement en ces lieux sur les
fauteurs de troubles. “On dirait que les autorités
en ont ainsi décidé. Faire respecter sans état
d’âme, les panneaux de signalisation, cela n’arrive
que lorsqu’il y a un agent de police stationné sur
un rond-point”.
Cette mission dévolue au ministère de
l’Intérieur, est dirigée par la police (casquette
et tenue gris sombre), la gendarmerie (treillis
de camouflage gris clair), ou par des motards
de la police (casque blanc, tenue grise sur
moto américaine) qui ont pour mission
principale d’assurer la fluidité routière aux
heures de grand trafic. “Le non respect strict
des panneaux de signalisation - cela se passe bien
entendu - lorsque les feux tricolores fonctionnent
normalement générant des accidents de la
circulation qui resserrent des voies déjà exiguës,
rassemblent des curieux et freinent la circulation
car ils attirent l’oeil des autres automobilistes”.
Quant au non respect du code de la route et
l’indiscipline des conducteurs, il est bien
souvent source de bouchons inextricables.
“Cette volonté farouche de passer coûte que coûte
avant l’autre sur les carrefours et les bifurcations
bloque la circulation”.
Mais recenser les différentes infractions au
code de la route au Liban ne suffit pas; ce
qu’il faut faire, également, c’est créer une
conscience face à ce qui peut paraître normal,
mais qui ne l’est pas et d’inciter les forces de
sécurité d’y mettre un terme.
Les économistes affirment, d’habitude, que le
progrès passe primordialement par une bonne
infrastructure, un trafic et des routes
organisées.
D’aucuns pensent que le développement des
transports en commun en est la solution. Cet
investissement pourrait, notamment, faciliter
le trafic et diminuer le coût causé par le
transport.
On attendra encore les propos du ministre
des Transports. Mais entre-temps, les autos
hoquettent et s’entêtent pour avancer
quelques centimètres; puis, stop… pare-chocs
contre pare-chocs elles s’arrêtent.
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