Entretien avec le président de l’UMP,
candidat à la présidentielle française

Nicolas Sarkozy, né en 1955, élu député (RPR) des Hauts-de-Seine à 34 ans, est devenu ministre du Budget à 38 ans. Ministre de l’Intérieur de 2002 à 2004; puis, ministre d’Etat, des Finances, de l’Economie et de l’Industrie. Il est, également, élu président de l’UMP, le 28 novembre 2004. Il démissionne, alors, du gouvernement pour se consacrer au lancement du nouveau parti. En 2005, il est rappelé au gouvernement de Dominique de Villepin en qualité de ministre d’Etat et de l’Intérieur. Candidat de l’UMP à l’élection présidentielle d’avril-mai 2007 et actuel favori des sondages, il veut être le président de la République qui réformera la France. Nicolas Sarkozy a bien voulu répondre, en exclusivité, aux questions de La Revue du Liban.

Vous avez déclaré que la politique étrangère de la France “doit être guidée par des valeurs réaffirmées, des objectifs clairs et si possible hiérarchisés”. Quelles sont ces valeurs? Ces valeurs sont le respect des droits de l’Homme et de la dignité humaine. C’est, concrètement, l’égalité entre hommes et femmes, la protection des femmes contre les mutilations, la protection des enfants contre les formes modernes d’esclavage, la garantie des libertés individuelles et collectives et la bonne gouvernance. Je n’accepte pas que l’on puisse remettre en cause l’universalité de la Déclaration des droits de l’Homme de 1948. Ces valeurs sont universelles, aucun individu ne doit en être privé. La liberté est créatrice de prospérité et de stabilité. Alors, bien sûr, la seule évocation des droits de l’Homme ne peut constituer le socle d’une politique étrangère. Mais valeurs et intérêts, en réalité, se rejoignent. L’opposition entre “réalisme” et “idéalisme” est une opposition stérile que je refuse. L’Histoire montre que le sacrifice des valeurs au nom d’intérêts à court terme ou d’une stabilité d’apparence, n’engendre que la frustration, le désespoir et la violence. Vous l’avez compris, ce que je veux, c’est une approche plus doctrinale des affaires internationales. La doctrine ne s’oppose pas au pragmatisme. Une doctrine, c’est une vision claire du monde, des valeurs que nous voulons y incarner et des objectifs que nous y poursuivons. C’est ce qui donne un sens et une cohérence à l’action.
Ces objectifs de long terme qui sont au fondement de notre action, quels sont-ils? Le premier d’entre eux, c’est d’assurer la sécurité et l’indépendance de la France et des Français mais, aussi, de nos amis et de nos alliés. Parce que nos intérêts sont globaux, notre responsabilité est mondiale. Nos intérêts de sécurité ne sont plus séparables de ceux de l’Europe et de nos partenaires qui partagent notre destin et nos valeurs. Face aux nouvelles menaces, comme le terrorisme, la prolifération nucléaire et les désordres d’ordre écologique, la coopération est la clef du succès. Notre deuxième grand objectif doit, justement, être de promouvoir sur la scène internationale ces valeurs universelles que j’évoquais, car la France n’est vraiment elle-même que lorsqu’elle incarne la liberté contre l’oppression et la raison contre le chaos. Enfin, le troisième grand objectif de notre politique étrangère est de promouvoir nos intérêts économiques et commerciaux, pour rendre la France plus forte dans la mondialisation.
Plus largement, concernant la place de la France dans le monde, est-ce que vous vous placez dans la perspective de la continuité par rapport à la politique impulsée par le Général de Gaulle?
Si je devais résumer en deux idées la vision qui était celle du Général de Gaulle pour la France, je dirais: “grandeur” et “indépendance.” Ces principes sont, aussi, au fondement de l’idée que je me fais de la France et de son rôle dans le monde. L’indépendance, d’abord. Pour moi, ce n’est ni un choix, ni un objectif; c’est une évidence. Il ne peut y avoir de France qu’indépendante. J’ajoute qu’à mes yeux, l’indépendance de la France est indissociable de l’indépendance de l’Europe. La grandeur, ensuite, qui n’est pas un vestige, encore moins une nostalgie; c’est un défi, une promesse pour l’avenir. Les réalités du monde nous obligent à voir qu’un héritage, aussi glorieux et exceptionnel soit-il, ne suffit pas à assurer le rayonnement d’un pays comme le nôtre. On ne peut pas s’accrocher à un rang, comme une donnée intangible qu’il faudrait juste défendre et conserver par tous les moyens. La France ne sera écoutée et suivie que si elle sait proposer au monde des directions claires et des ambitions partagées. Dans un monde en changement permanent, où des Etats déclinent et d’autres renaissent, où les sociétés civiles prennent la parole, où des entreprises privées sont parfois plus puissantes que des pays, où des périls transnationaux grandissent, où les nouvelles menaces ne connaissent plus de frontières, on ne peut se contenter d’exprimer les mêmes concepts, les mêmes raisonnements, les mêmes certitudes. En politique étrangère, la continuité, le consensus, la permanence de certains principes, ne doivent pas être des présupposés, mais le résultat d’un débat démocratique qui doit lui-même donner lieu à un réexamen constant de nos objectifs et de nos moyens. Ces dernières années, j’ai eu l’occasion de parcourir le monde. Ces déplacements m’ont permis d’évaluer l’influence de mon pays, de mesurer bien des rapports de force, de sonder les espoirs de certains peuples et les désillusions de certains autres; j’ai vu les problèmes tels qu’ils se posent. La perspective d’un nouveau quinquennat est l’opportunité de procéder à un diagnostic de notre politique étrangère, un diagnostic qui peut être l’antichambre de certains changements. Je vous rappelle que le Général de Gaulle lui-même avait refondé la politique étrangère de la France à son arrivée au pouvoir en 1958 et que ce qui paraît s’imposer comme un ensemble de principes indépassables fut en son temps le fruit d’une rupture.

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La chute du bloc soviétique a conduit les Etats-Unis à afficher un certain unilatéralisme. Estimez-vous qu’il faut maintenant construire un monde multipolaire et quel rôle assignez-vous à la France et à l’Union européenne? L’Organisation des Nations unies doit-elle être consolidée et le Conseil de sécurité devrait-il être élargi en y associant, par exemple, les pays du Sud?
Aucun pays ne peut prétendre, aujourd’hui, faire face seul aux menaces et aux crises internationales. Nos intérêts de sécurité ne sont plus séparables de ceux de nos alliés qui partagent notre destin et nos valeurs. C’est pourquoi, notre politique s’inscrit naturellement dans les cadres collectifs et, d’abord, l’Union européenne et les Nations unies. Une compréhension commune des enjeux et des réponses, issue de débats ouverts et sans tabous, est nécessaire. L’UE a besoin d’une telle vision stratégique pour défendre ses intérêts dans le monde. Notre dialogue avec les Etats-Unis est central pour assurer la sécurité internationale. Ensemble, nous avons rétabli la souveraineté du Koweït, sauvé le Kosovo de l’agression serbe et mis fin au régime des talibans. Concernant la réforme du Conseil de sécurité, je considère qu’elle est inéluctable. C’est pourquoi, il nous faut la porter plutôt que de la subir. Le but est de préserver l’efficacité des Nations unies et donc de garantir l’autorité du Conseil, tout en renforçant sa représentativité. Car le monde a changé. Cet élargissement du Conseil doit concerner toutes les régions du monde et, notamment, comme vous le suggérez, les pays du Sud. De grands pays comme l’Allemagne, l’Inde, le Japon ou le Brésil doivent y jouer un rôle permanent. L’Afrique comme l’Amérique latine doivent également y être représentées. J’ai bien conscience qu’il est difficile de réunir un consensus sur cette question entre les 192 Etats du monde. Je propose donc d’explorer des formules transitoires, pour avancer progressivement. Il nous faudra combiner le maintien du statut des cinq membres permanents, une augmentation globale limitée du nombre de sièges au Conseil, pour lui conserver son efficacité, avec la création de nouveaux sièges permanents sans droit de veto.
Selon un sondage publié par l’IFOP, le 20 décembre 2006, 75% des Français souhaitent que le prochain président de la République conduise une politique extérieure "éloignée" de celle des Etats-Unis. Quelle est votre position sur les relations entre Paris et Washington?
Ne nous y trompons pas: ce qui nous unit avec les Etats-Unis est plus fort que ce qui nous sépare. Les Etats-Unis sont nos amis, même si nous n’avons pas toujours été d’accord et même si nous aurons sûrement à nouveau des désaccords dans le futur. Alliés ne veut pas dire “ralliés” et c’est notre rôle, en tant qu’amis des Américains, de leur dire lorsque nous pensons qu’ils se trompent. C’est ce que nous avons fait au moment de la guerre d’Irak, et c’est tout l’honneur du président Chirac d’avoir su mettre en garde nos amis américains et d’avoir eu la lucidité de ne pas s’être laissé entraîner dans cette aventure incertaine qui était une erreur et que les Français ne souhaitaient pas. Mais je veux, aussi, dire que je suis convaincu que ces divergences peuvent être exprimées en partenaires responsables, dans le cadre d’un dialogue constructif, sans crise, sans mises en scène et sans ressentiment. L’amitié entre la France et les Etats-Unis est profonde et sincère. L’amitié entre l’Europe et les Etats-Unis est même une nécessité pour l’équilibre du monde. Mais l’amitié ne peut être vraie; elle ne peut être sincère que si l’on est libre. Je veux une France libre et une Europe libre. Et je demande à nos amis Américains de nous laisser libres, libres d’être leurs amis et libres de nos positions.
Les néoconservateurs des Etats-Unis ont repris les thèses du “choc des civilisations”. Quelle est votre analyse sur cette théorie à laquelle on oppose le “dialogue des civilisations”?
Je refuse l’idée d’un “choc des civilisations” conçu comme quelque chose d’inéluctable, ainsi que l’ont dépeint certains universitaires aux Etats-Unis ou ailleurs. Pour autant, je n’ignore pas que le risque est bien réel de voir les lignes de fractures culturelles et religieuses se creuser à travers le monde. Mais ce danger a beaucoup moins à voir avec les cultures elles-mêmes, qu’avec l’instrumentalisation qui en est faite. Prenez l’exemple de cette grande religion qu’est l’Islam. Qui ne voit que, contrairement à ce que l’on entend parfois, la rupture n’est pas entre l’Occident et l’Islam, mais bien plutôt au sein même de l’Islam: entre un islam moderne et modéré et cet islam fondamentaliste et obscurantiste, dans lequel si peu de musulmans se reconnaissent. Pour faire face à la menace du choc des cultures, je ne connais pas de meilleure arme que le dialogue des civilisations, si cher à Jacques Chirac qui a, d’ailleurs, tant fait pour le promouvoir. Cette action, je veux la poursuivre, car je crois comme lui que c’est dans le dialogue et dans l’échange que se construisent le respect et la compréhension mutuelle.
L’Organisation internationale de la francophonie qui rassemble plus d’une cinquantaine d’Etats et de gouvernements, est un exemple de dialogue entre les cultures. Pourtant, la francophonie est souvent négligée par les grands dirigeants politiques. Envisagez-vous de créer un grand ministère de la francophonie (auquel on pourrait rajouter “et du dialogue des civilisations”) pour lui donner plus de consistance?
Je ne suis pas d’accord avec vous, lorsque vous dites que les dirigeants français négligent la francophonie. Je crois, au contraire, qu’ils y sont très attachés. J’accorde moi-même une très grande importance à l’usage de la langue française dans le monde. L’Organisation internationale de la francophonie, qui est déjà un formidable moyen de promouvoir le rayonnement international du français, participe aussi du dialogue des cultures et des civilisations que j’évoquais à l’instant. Pour autant, je crois que la francophonie, “cet humanisme intégral qui se tisse autour de la Terre”, comme l’écrivait Senghor, ne doit pas être un dogme réduit à un rôle essentiellement politique: elle doit être un facteur d’attraction et un vecteur de communication et de compréhension. C’est en favorisant la diffusion non seulement de la culture et des œuvres françaises, mais également celles des autres pays francophones, que nous ferons du français une des grandes langues véhiculaires du XXIème siècle. Plus qu’à la création d’un ministère spécialement dédié à la francophonie, je crois plutôt au dynamisme de notre création culturelle mais, aussi, à la meilleure attractivité de nos universités et à l’amélioration de notre système d’enseignement à l’étranger pour favoriser le développement de la langue française dans le monde.
L’un des facteurs qui peut encourager un malentendu entre les civilisations est la crise du Proche-Orient. Ne pensez-vous pas que la non-résolution des conflits, notamment le conflit israélo-palestinien et ce qu’on appelle la politique internationale de deux poids et deux mesures ne conduisent à nourrir les extrémismes?
Nous devons, impérativement, trouver une issue au conflit israélo-palestinien qui a déjà causé trop de souffrances. Le rôle de la France c’est de permettre l’émergence d’une solution mutuellement acceptable, d’une paix juste fondée sur l’établissement de deux Etats viables, démocratiques, indépendants, vivant côte à côte dans la sécurité et dans des frontières sûres et reconnues. La France et l’Europe doivent aider les Palestiniens à se doter d’un Etat, parce qu’il y ont droit. Mais en aucun cas nous ne devons transiger avec nos valeurs et céder devant la violence et la haine. C’est pourquoi, je considère que la communauté internationale est parfaitement fondée à exiger du gouvernement palestinien qu’il respecte les trois conditions posées par le Quartette: la reconnaissance d’Israël, le renoncement à la violence et le respect des engagements passés. Mais je crois qu’il est important d’en finir avec ce mythe qui consiste à croire qu’en réglant le conflit israélo-palestinien, on aura réglé tous les problèmes de la région. Autant il est nécessaire et urgent de trouver une issue à ce conflit, autant ce serait une grave erreur de sous-estimer les dangers que recèlent les autres crises dans la région, à commencer par le Liban.
Quelle est la solution au conflit israélo-palestinien et comment pourrait-on relancer un véritable processus de paix au Proche-Orient?
Le règlement du conflit israélo-palestinien, je vous l’ai dit, passera par une solution négociée, mutuellement acceptable. Personne ne saurait perdre de vue cette réalité fondamentale: un peuple occupé ne renoncera jamais, quoi qu’il endure. C’est pourquoi, il importe d’adopter une position équilibrée envers les deux parties. Jamais je n’accepterai le terrorisme, que rien ne peut justifier et jamais je ne transigerai avec la sécurité de l’Etat d’Israël. En même temps, je veux dire à nos amis israéliens que la politique de fait accompli sur le terrain hypothèque lourdement les chances de paix.
Comme je le rappelais, la question de la paix au Proche-Orient ne s’épuise pas dans celle du conflit israélo-palestinien. Si je suis élu, je m’efforcerai également d’aider à la relance du processus de paix dans ses volets libanais et syrien. Le dossier iranien devra aussi faire l’objet d’un traitement approprié de la part de la communauté internationale.
En 2003, la France avait mis en garde les Etats-Unis contre l’aventure militaire en Irak. Les faits lui ont donné raison. Comment la France pourrait-elle s’impliquer dans la recherche d’une solution à la crise irakienne?
Ma conviction est que la solution ne peut être que politique. Il faut réinventer un “pacte” entre Irakiens qui assurerait à chaque communauté, à chaque segment de la société irakienne, à chaque Irakien, un accès équitable aux institutions et aux ressources du pays. Et qui isolerait les terroristes. Concernant le retrait des troupes étrangères, il y a deux écueils à éviter: un retrait précipité, qui entraînerait le chaos, et l’absence de toute perspective de retrait, à laquelle les Irakiens réagiraient par plus de violence et qui ferait le jeu des terroristes. La voie adaptée consiste donc à fixer un “horizon” pour le retrait. Il appartient aux autorités irakiennes de le définir en fonction de la situation et en liaison avec les pays qui ont des troupes sur le terrain. Je crois qu’ainsi, les Irakiens seront assurés que l’objectif est bien de leur rendre la plénitude de leur souveraineté. Quiconque se rappelle le courage extraordinaire de ces millions d’Irakiens qui sont allés voter au péril de leur vie, ne pourra jamais se résoudre à les abandonner à la barbarie des terroristes. Parce que je n’ai pas oublié ces femmes et ces hommes dont rien n’a pu ébranler la foi dans la démocratie et la liberté, je veux croire que l’Irak n’est pas condamné à s’enfoncer dans le chaos. La France, avec toute la communauté internationale, doit se mobiliser afin d’aider le peuple irakien à retrouver le chemin de la réconciliation et du progrès.
L’écroulement de l’Irak a permis la montée en puissance de l’Iran et cela a mis en exergue le problème du nucléaire iranien. Quelle est votre analyse sur cette question? Si les Etats-Unis décidaient d’attaquer l’Iran, la France devrait-elle participer aux opérations?
Il est vrai que, depuis qu’il est débarrassé de son rival historique maintenant affaibli, l’Iran s’est déployé comme une puissance régionale dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas apaisante. Je veux être très clair: pour moi, l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire est inacceptable. La France doit continuer à agir pour que la communauté internationale reste unie et ferme, comme elle l’a été en adoptant à l’unanimité la résolution 1737 et en décidant il y a peu de renforcer les sanctions. La pression sur Téhéran doit se poursuivre si le régime iranien ne change pas de comportement. C’est, désormais, à l’Iran de choisir entre les sanctions et l’isolement croissant ou la coopération. En contrepartie, la communauté internationale doit garantir aux autorités iraniennes qu’elle tiendra ses engagements, notamment l’accès au nucléaire civil, si Téhéran respecte ses obligations internationales. Je me réjouis qu’il y ait, aujourd’hui, en Iran un véritable débat: les Iraniens ont conscience que le comportement de leur président les isole tous les jours un peu plus sur la scène internationale et que cet isolement coûte cher. D’autant que, dans leur immense majorité, les Iraniens ne se reconnaissent pas dans le discours de haine de leur président. Le revers subi par le président Ahmadinejad aux dernières élections municipales est bien la preuve qu’il y a, dans la société iranienne, un vrai désir de changement.
Vous avez qualifié le Liban de “miracle qui doit demeurer”. Comment la France peut-elle agir pour faire en sorte que le Liban sorte de la crise actuelle? La France doit-elle prendre le parti de certaines factions contre d’autres?
Le Liban est un des rares pays dans la région où des hommes et des femmes de différentes confessions sont capables de vivre ensemble. Ce que j’ai voulu dire lorsque j’ai parlé du “miracle libanais”, c’est que nous ne pouvions laisser mourir une telle merveille. Parce que l’amitié qui nous lie à nos frères libanais est unique et indéfectible, la place de la France sera toujours aux côtés du peuple libanais quand il souffre. J’ai été, comme tous les Français, profondément touché par le drame qu’ont enduré les Libanais l’été dernier et j’ai tenu à plusieurs reprises à leur exprimer toute ma solidarité.
Si la France doit choisir un camp au Liban, c’est celui de la paix et du respect de la souveraineté libanaise. J’ai toujours conçu l’amitié franco-libanaise comme une relation entre deux peuples, entre deux Nations et non comme celle de la France avec telle ou telle communauté. Croire que notre relation avec les uns ne peut grandir qu’au détriment des autres, est une grave erreur. Mais parce que nous sommes les amis des Libanais, nous leur devons la franchise. Et être franc aujourd’hui, c’est trouver le courage de leur dire que les groupes armés qui prétendent agir pour le bien du peuple libanais sont, en fait, ceux qui le privent d’une paix à laquelle il aspire tant. Il faut que les Libanais le sachent: les ennemis du Liban et de sa souveraineté, ce sont d’abord les groupes armés.
Le monde arabe, c’est-à-dire les 22 Etats membres de la Ligue arabe, est très attaché à la politique arabe de la France. Sur cette question vous placez-vous dans une perspective de continuité ou de rupture?
Vous évoquez la “politique arabe de la France”. Je pense qu’il faudrait plutôt parler de politiques de la France au Maghreb, au Proche-Orient et dans le Golfe: formule plus neutre, qui tient compte de la variété de la zone et qui inclut Israël et l’Iran. L’expression “politique arabe” a été forgée sous de Gaulle en pleine guerre froide. Un tel positionnement répondait, alors, aux vœux de nombreux pays arabes qui se sentaient prisonniers du duel américano-soviétique. Le contexte actuel est totalement différent. S’il serait aujourd’hui utopique de s’imaginer que la France peut agir seule dans la région; force est de reconnaître que nous pouvons y apporter un concours précieux, comme l’a encore montré la crise libanaise cet été. Si je suis élu, j’inscrirai mon action dans la continuité de cette amitié ancienne et profonde qui unit la France et le monde arabe. Il s’agit d’une région avec laquelle la France entretient d’anciens liens historiques, humains et économiques. Les pays arabes sont les héritiers de brillantes civilisations. Avec eux, nous partageons ce goût de la culture, cette aspiration à l’universalité. C’est, peut-être, la raison pour laquelle nous nous entendons si bien. Il y a, aussi, le poids de l’Histoire qui, depuis les croisades, fait que la France entretient avec la région une relation aussi ancienne que complexe et riche. Je pense, bien sûr, au Maghreb mais, aussi, au Liban, à l’Egypte ou à l’Arabie saoudite. Je tiens à ce que la France et les pays arabes préservent la relation si spéciale et si précieuse tissée au fil des siècles, qui les unit. Elle est une richesse inestimable pour nos pays et pour nos peuples. Parce que nos destins sont si intimement liés, nous avons à cœur de toujours chercher à faire grandir cette relation dans le cadre d’un dialogue respectueux. Nous devons être capables de parler de tout, y compris de nos points de désaccord. Dans un certain nombre de domaines, nous devons approfondir notre coopération, car les défis communs sont immenses et beaucoup nécessitent une réponse concertée et globale: la lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme, contre la criminalité organisée, la gestion concertée de l’immigration, les questions énergétiques mais aussi la protection de l’environnement. Sur tous ces sujets, nous ne pourrons réussir que tous ensemble.

Entretien avec Zeina el-TIBI (Paris)
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4100 Du 7 Au 14 Avril 2007
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