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Que cache Windows 98 ?
Lorsque Bill Gates sortit Windows 95, il avait pensé
à tout, mais dans cette euphorie communicante, il passa à
côté de ce qui allait rapidement devenir l’outil d’expression
et de diffusion favori des terriens. Le patron de Microsoft avait omis
l’incontournable… Internet ! Le Réseau des réseaux
ne séduisait pas plus que ça notre Geek. Et depuis,
il ne cesse de vouloir corriger cette méprise, quels qu’en soient
les moyens. Il ne connaît pas ou peu de défaites et dès
lors qu’une lui tombe dessus, il s’attelle à l’effacer coûte
que coûte. Le Geek, est un adolescent qui passe ses journées
à aligner des lignes de code (programmer), éperdument épris
d’informatique, jusqu’à la moelle. Typiquement Gates avant qu’il
ne devienne Monsieur Microsoft. Bill Gates (cf. RDL n°1970)
avait et porte encore les séquelles : le look – mais rien
que le look – de l’ado attardé. Car pour le reste il a prouvé
son avance voilà longtemps ; le regard triomphant et le sourire
jouisseur, il poursuit son chemin sans se soucier du reste. Si Gates avait
raté le coche du Net, il a aujourd’hui l’avantage (et ne s’en prive
pas), disposant du code source, de générer des erreurs répétées,
dès lors que l’on utilise un autre browser que le sien,
histoire de démontrer la supériorité d’Explorer
sur Communicator. Netscape, le principal adversaire de Microsoft
dans le domaine de la navigation sur le Web, conserve cependant une avance
avec un peu plus de 50% en légère baisse contre 22% pour
Explorer, en nette augmentation par rapport à l’an passé.
Taille = qualité ?
Mardi 23 juin 1998, Microsoft gagne contre le DOJ (Department Of
Justice), le droit d’inclure Explorer dans son Windows 98 (cf. RDL
n°1997) s’assurant ainsi une avance
certaine dans la future domination des navigateurs Web. Deux jours plus
tard, Windows 98 déferle sur les marchés de plusieurs pays.
Outre les problèmes légaux soulevés, celui de la
qualité du produit reste aujourd’hui un point crucial. En effet,
Windows 98 apporte certes sa part de modulations, mais c’est aussi et
surtout une mise à jour qui corrige les bugs (défauts de
programmation) des versions précédentes, ajoute les drivers
(gestionnaires de périphériques) etc... Le hic :
cette mise à jour est… payante ($180 pour la version complète
!) De fait, les changements sont tellement dérisoires dans l’interface,
qu’un des rares moyens de différencier Win95 de 98 du premier coup
d’œil, est un sympathique dégradé de couleurs en haut de
chaque fenêtre. Monopole Sans omettre que, durant toutes ces années,
le prix des logiciels Microsoft n’a quasiment pas bougé alors que
les tarifs de logiciels classiques sont tombés d’un facteur de
cinq à dix fois moindre. Microsoft a désintégré
à un tel point la concurrence dans certains domaines, que sa position
de monopole lui permet tous les excès… Les arguments du gouvernement
selon lesquels Microsoft n’a pas le droit d’imposer Windows aux constructeurs
et encore moins d’attacher Explorer illégalement au système
d’exploitation, ont été rejetés. La Cour d’appel
a fait valoir ses droits à Microsoft ; décrivant l’offre
navigateur/O.S. (Operating System, cf. RDL n°1965)
comme une combinaison originale d’un produit offrant de meilleurs résultats
que des éléments séparés. Déçu,
le DOJ ne remet pas pour autant sa détermination à poursuivre
ses engagements dans le cadre des lois antitrust. Et d’ajouter :
“Nous demeurons confiants que les preuves et nos arguments légaux
démontreront la violation des lois antitrust par Microsoft.”
Windows 98 ? Windows 95 newlook !
C’est fait, Bill Gates a enfin pu révéler ce qui se cachait
dans sa boîte de Pandore. Windows 98 apporte son lot de nouveautés,
dont la dernière version d’Internet Explorer, qui se fond
au système. Microsoft Plus !, auparavant vendu séparément
est désormais inclus, de même qu’un certain nombre de progrès
techniques, améliorant les conditions de travail dans cet environnement.
La FAT32 (File Allocation Table, table d’allocation des fichiers) pour
disques durs de grande capacité, réduit la consommation inutile
de kilos octets. Toutefois, pour bien profiter des avantages de la FAT32,
il faut au préalable avoir converti son disque dur à la nouvelle
norme… épreuve encore difficile pour les débutants. Autre
bon point : Windows 98 démarre, s’éteint plus rapidement
que son prédécesseur et profite d’une gestion améliorée
des fichiers. Un plug and play étoffé, avec la prise
en compte des nouveaux pilotes. Nombre d’ajouts mais aussi des suppressions :
Microsoft Fax disparaît (peut-être dans l’optique de le vendre
plus tard comme programme indépendant). Toutefois, cet O.S. ne séduit
pas tous les consommateurs et certainement pas les entreprises qui recherchent
la fiabilité avant tout. Microsoft lui-même conseille aux
professionnels de se tourner vers NT 4, en attendant l’arrivée de
NT5.0. Donc à qui s’adresse Win98 ? Au grand public, certes,
mais en priorité aux utilisateurs de la cuvée 95. L’édition
98 vaut-elle le détour ? Bien sûr, les aficionados de
la dernière nouveauté pourront s’en donner à cœur
joie avec ce joujou à installer. En revanche, un passage à
Win98 n’est pas aussi impératif que celui réalisé
par Win95 ; la racine centrale étant la même et les programmes
de l’un fonctionnant parfaitement (pour l’instant) sur l’autre ; le
choix demeure facultatif. Il serait donc plus juste que Windows 98 soit
rebaptisé… Windows 95.2 ! Mais supposons que l’on veuille maintenant
installer malgré tout ce nouveau système d’exploitation.
Il est parfaitement ancré à la politique Microsoft, de mèche
avec les fabricants de semi-conducteurs (les microprocesseurs de PC), à
savoir : plus d’espace sur le disque dur, plus de mémoire vivante
et toujours plus de puissance nécessaire, donc un besoin apparemment
indirect mais évident de consommer du hardware en plus du
software. On en vient dès lors aux pratiques gargantuesques
de Microsoft. Comment expliquer qu’un traitement de texte – aussi performant
soit-il – installé avec le strict minimum de fonctions, puisse gober
près de 100 mégas octets ? Pourquoi ne pas développer
une version allégée ? Deux raisons à cela :
une programmation de mauvaise facture et l’assurance que si l’utilisateur
désire l’exécuter, il n’aura qu’à s’équiper
d’un disque dur adéquat ! Mais se soucie-t-on véritablement
du confort de cet utilisateur ? Un logiciel comme Word n’est dans
la plupart des cas exploité qu’à 10% de sa puissance. On
est bien loin de l’époque épique des programmeurs forcenés
qui s’attachaient à caser un logiciel des plus complexes dans un
espace des plus restreints. Un traitement de texte digne de ce nom ne devrait
pas dépasser (soyons larges) plus de 10 Mo. Microsoft a instauré
un système de gigantisme inutile, qui force l’utilisateur à
renouveler son matériel chaque fois qu’une mise à jour logicielle
est nécessaire… Plus intolérable encore, pour les récalcitrants :
on rend proprement inutilisable l’ancien programme sur le nouveau système.
(In)compatible…
Gates a donc l’attitude du parfait parano. Est-ce un tort ? N’est-ce
pas son confrère, Andrew Grove, PDG d’Intel, qui intitula son livre :
“Seul le paranoïaque survit” ? Il serait mal venu d’affirmer
que Microsoft n’a guère fait évoluer l’industrie informatique.
Mais là où cela tient de l’obsession c’est dans cette ferveur
à réduire en cendres ou mieux, happer, quiconque ose se trouver
sur son chemin. Et c’est exactement ce que reproche la Justice américaine
à l’une des plus brillantes entreprises du pays. Sans oublier qu’un
autre grand, Apple, a ouvert une brèche que Gates a su exploiter :
du matériel resté à des prix exorbitants et un système
que la firme de Cupertino a trop longtemps refusé d’ouvrir. C’est
ainsi qu’Apple se retrouve avec 4% du marché mondial contre presque
90% pour Microsoft ! Ce que l’on appelle aujourd’hui l’informatique
grand public, doit en grande partie son expansion à Windows 95 ;
mais Gates est-il un innovateur ou un bulldozer ? Alors que le maître
mot d’un système ouvert est proprement sa compatibilité avec
d’autres plates-formes et logiciels, Microsoft ferme dans certains cas,
volontairement ses tuyaux, déclarant ainsi un logiciel X, inapte
puisqu’incompatible. Récemment, la SPA (Software Publisher Association),
organisme regroupant plusieurs éditeurs de logiciels – dont Microsoft
– a accusé ce dernier de pratiques anti-concurrentielles, visant
à conforter sa position dominante et éventuellement à
éclipser ses rivaux. Ainsi, la SPA compte astreindre l’entreprise
de Bill Gates à demeurer ouverte, si elle veut obtenir l’accréditation
pour les programmes “compatibles Windows”.
Le cyber Dallas nouveau est arrivé !
Pourquoi la Justice et la concurrence s’acharnent-elles donc sur Microsoft
– apparemment sans raison ? Que faut-il voir dans ces menaces et cette
ingérence de l’Etat ? Ni plus ni moins que le combat pour le
contrôle de l’information à l’aube de l’an 2000. Avec le pourcentage
que l’on connaît de foyers et autant d’entreprises fonctionnant sous
Windows et utilisant IE, donc sous perfusion made in Microsoft,
les raisons de s’inquiéter sont légitimes. Les estimations
maison ne tablent pas cette fois, sur un succès aussi phénoménal
que celui de Win95. Mais les dirigeants se contenteraient simplement de
la moitié. En effet, la ruée des consommateurs sur la dernière
version de cet O.S. est autrement plus réservée. Et si les
responsables eux-mêmes, admettent que les apports sont mineurs, c’est
pour la simple raison qu’ils proposent une autre alternative… Windows NT !
ça reste en famille… La difficulté des médias spécialisés
à critiquer Microsoft, vient sans doute du fait que ce dernier représente
un annonceur non négligeable, tous supports confondus. Ce qui favorise
l’autocensure.
Réquisitoire
Les griefs contre Microsoft sont multiples et c’est aujourd’hui leur
saison, car l’ogre – qui a commis plus d’un écart de conduite –
prend encore plus de poids dans l’industrie des hautes technologies. Le
tapage autour de Windows 98 est devenu colossal à cause des cris
des concurrents et de l’opposition de la Justice qui lui ont fait une publicité
gratuite. Pas un jour ne passait sans que Microsoft ne fasse la “une” des
médias, que cette couverture soit en sa faveur ou fermement opposée.
Les procès des challengers se succédaient à l’envi.
Les nombreuses menaces pour retarder, voire amputer le produit ont conduit
à placer Microsoft dans les feux de la scène en plein cœur
de l’action. L’opinion publique en fut partagée entre ceux qui en
demandaient encore et ceux qui prenaient Microsoft en pitié. Mais,
on ne brise pas aussi facilement un géant. Rappelons la devise de
Gates, lors de la sortie de Windows 95 “Parlez de moi en bien ou en
mal, mais parlez de moi !”. Dans de pareilles conditions, nul
besoin de réclame pour prouver que l’on est toujours présent.
Et puis, quelle meilleure publicité que d’avoir “battu” l’Etat tout
à fait “légitimement” ? Gates est à nouveau sorti
d’affaire ; jusqu’à quand ? Trois années plus tard,
c’est plus de discrétion, jusque dans la campagne publicitaire qui
joue le profil bas. Surtout lorsqu’on se rappelle la fortune dépensée
il y a 3 ans, en publicité globale avoisinant un total de plus de
200 millions de dollars.
C’est donc un lancement éminemment plus sobre que celui de 1995
qui a eu lieu, baptisé “Route 98” en référence à
la légendaire Route 66 reliant les Etats-Unis d’Est en Ouest.
Pas d’avenir sans Microsoft ?
Tout porte à croire qu’il n’existe pas d’alternative viable
à Windows. Mais un O.S. tel Linux n’est pas sans poser de problèmes
à Gates et pour cause. En 1991, Linus Torvalds, un Finlandais de
21 ans, crée Linux (contraction de Linus et Unix), un système
basé sur le noyau d’Unix – considérablement performant. Particularité :
Linux est totalement gratuit ! Plus fort encore, le code source est
disponible et librement modifiable pour satisfaire les besoins des utilisateurs
de par le monde. Seule ombre : Linux reste encore relativement complexe
pour l’usager de base lambda. Il séduit les plus exigeants : professionnels,
particuliers, universités, entre autres. Et ils sont nombreux :
quelque 8 millions de par le monde. D’autres systèmes d’exploitation
existent et luttent, tant bien que mal, contre l’omniprésent Windows :
Java de Sun, OS/2 d’Ibm, BeOS de BeInc, MacOS d’Apple et quelques autres
encore trop embryonnaires. Force est de constater que certains sont mort-nés.
OS/2 était au départ, de loin meilleur que Windows, mais
il a subi un mauvais lancement et sa politique marketing était inadaptée.
Quelles options demeurent ? Essayer de grignoter sur les emplacements laissés
vacants par Monsieur Gates. A savoir la post-production et les stations
de travail pour BeInc ; Internet pour Sun ; et la convivialité
plus… un certain idéal d’une forme d’informatique pratiquée
quand on avait les cheveux longs pour Apple. Les “choix” subsistent, mais
rien ne dit qu’ils soient durables ; soit par leur manque de diffusion,
soit par l’absence de logiciels dédiés.
Bill Gates forever ?
L’ambition d’un Larry Ellison, patron d’Oracle, ne s’arrête pas
aux Network Computers ; Jean-Louis Gassée, aimerait
bien sa part du gâteau au goût de BeOS ; Steve Jobs, PDG
intérimaire d’Apple, veut retrouver son éclat d’antan… Pourquoi
cette coalition ne parvient-elle pas à s’imposer ? Si un jour
Gates est battu, les alliés s’entendront-ils sur un chef commun ?
Ce dernier sera-t-il détaché et impartial ou bien aspirera-t-il,
lui aussi, à devenir un nouveau maître de l’univers ?
A se demander si tout ne va pas finalement pour le mieux dans le meilleur
des cybermondes…
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