Après avoir prêté serment devant le parlement libanais, le général Michel Sleimane, douzième président de la République, a donné lecture de son discours d’investiture. Qualifié par la presse de “réaliste, global et objectif”, le discours a porté sur plusieurs dossiers litigieux, notamment les armes de la Résistance et la stratégie de défense nationale, les relations diplomatiques avec la Syrie et le tribunal à caractère international. Dans son intervention, le nouveau locataire de Baabda a, également, évoqué le rôle de l’Armée, le dossier des détenus et prisonniers, les disparus, les Libanais réfugiés en Israël, les droits des expatriés, l’émigration et la jeunesse etc.
Voici le texte du discours présidentiel dans son intégralité:
“Monsieur le président de la Chambre, Messieurs les députés,
“J’aurais souhaité que cette échéance fût entamée dans la joie. Mais je suis certain que les âmes de nos martyrs se réjouiront de notre silence, car cette échéance marque le début d’une période prometteuse pour tous les fils de la patrie. Notre pays qui se réveille de sa léthargie, grâce aux prises de conscience de nos citoyens qui ont refusé de se livrer à l’autodestruction, ainsi qu’au secours des amis de notre pays qui nous ont aidés à réduire les méfaits et effacer les répercussions.
“Aujourd’hui, après avoir prêté le serment cons-titutionnel, je vous invite tous, parties politiques et citoyens, à entamer une nouvelle phase dont le titre serait le “Liban et les Libanais”: une phase où nous nous engagerons tous en faveur d’un projet national autour duquel nous nous rencontrons dans un esprit avant-gardiste. Et ce, pour servir l’intérêt national qui doit primer sur les intérêts sectaires et confessionnels, ainsi que sur les intérêts des autres.
“La stabilité politique à laquelle nous aspirons, suppose que nous dynamisons les institutions constitutionnelles où primeront les différentes idées politiques dans le but d’aboutir à des déno-minateurs communs qui garantiraient l’intérêt de la patrie et de sa population.
“Le différend politique et les problèmes constitutionnels qui en résultèrent, doivent nous inciter, non seulement à trouver les issues pour l’avenir, mais pour instaurer l’équilibre requis entre les prérogatives et les responsabilités, afin que les institutions, y compris la présidence de la République, puissent assumer leur rôle.
“Le Liban, ce pays message, carrefour des civilisations et du pluralisme, nous pousse tous à lancer le chantier de la réforme politique, admi-nistrative, économique et sécuritaire, afin de rendre à notre patrie son rayonnement, son unicité et sa position exemplaire sur la scène internationale.
“Le Liban a choisi de se conformer à l’accord de Taëf. Il est, alors, appelé à préserver et à consoli-der ce choix émanant de la volonté nationale unie, indispensable à la consécration de toute décision politique. Le pacte national, noyau de la Constitution, est un lien qui rassemble les Libanais et qui a prouvé sa solidité face à toute orientation extérieure.
“Nos relations avec l’étranger resteront saines et efficaces, tant qu’elles seront conduites sur base de ce pacte: autrement dit, tant qu’elles répondront aux intérêts du Liban, respecteront sa particularité et lui permettront de retrouver son rôle actif de prototype de la coexistence dans la région et dans le monde.
“Le peuple nous a accordé sa confiance, afin que l’on réalise ses ambitions et non pour que nous l’embarrassions avec nos différends politiques obtus. Le discours de l’accusation mutuelle de félonie est l’un des dangers les plus menaçants qui ont guetté notre pays au cours des dernières années. Ce genre de discours a pavé la voie au règne de la discorde, notamment parmi les jeunes. Il est nécessaire d’intégrer ce fait et d’œuvrer à renforcer la patrie et la coexistence, par le biais du dialogue et non en transformant le pays en arène de conflits.
Élections libres
“Le régime démocratique est fondamentalement caractérisé par l’alternance au pouvoir. Et ce, à travers des élections libres. S’il est nécessaire d’adopter une loi électorale qui puisse assurer une représentation juste et consolider la relation entre l’électeur et l’élu, il est tout aussi indispensable de reconnaître les résultats de ces élections et de respecter la volonté du peuple.
“L’indépendance de l’autorité judiciaire consacre le règne de la justice, refuge et abri de tout ayant-droit. Cette dernière n’a pas uniquement pour mission de trancher en cas de litiges mais, aussi, de règler le fonctionnement de toutes les institutions étatiques. La justice est le pilier du pouvoir. Le sens de la responsabilité nous pousse à encourager la jeunesse à intégrer le secteur public, pour éviter sa caducité, nous permet de consolider les compétences et les capacités de l’administration en y pompant du sang nouveau. Pour ce faire, il suffit d’adopter de bons critères de sélection, d’activer les organismes de contrôle et de surveillance pour récompenser le méritant, de rectifier, voire de remettre sur le droit chemin celui qui manque à son devoir et d’écarter le corrompu.
“Messieurs,
“Seule l’édification d’un Etat auquel ils seront fiers d’appartenir, permet de dissiper les appréhensions des jeunes, d’apporter des solutions à leurs problèmes et de promouvoir leur potentiel. Laissons-les, eux-mêmes qui ont combattu l’occupation et le terrorisme, qui se sont soulevés pour l’indépendance, nous guider vers la destination que nous avons échoué à atteindre. Les jeunes sont l’avenir et demain leur appartient. Leurs blessures les ont épuisés mais, néanmoins, mûris. Les droits de ceux qui, parmi eux, sont devenus handicapés, doivent être assurés conformément à la loi. Il est de même indispensable de réformer notre éducation nationale qui doit récupérer son rôle distingué dans la région.
“La diaspora libanaise nous regarde aujourd’hui, mue par l’espoir de voir la mère-patrie se redresser de nouveau. En conséquence, il est impératif de reconnaître les droits aux expatriés et d’adopter les mesures qui renforceraient leur adhésion à la patrie et de profiter de leurs compétences. Les expatriés ont droit à la nationalité libanaise, bien plus que ceux qui l’ont acquise sans aucun droit.
Développement équilibré et tribunal
international
“Sortir de la stagnation et activer le cycle économique nécessitent une stabilité sécuritaire et politique, ainsi que le parrainage de l’Etat qui doit promouvoir la production concurrentielle. Car c’est en créant un environnement propice et favorable, que nous pourrons attirer les investissements et, en conséquence, lutter contre la corruption et réduire l’émigration. Ce qui nous mène, inéluctablement, à la nécessité de développer l’infrastructure productive de notre économie, notamment de nos secteurs agricole, industriel et tertiaire, tout comme de metttre en relief les attractions touristiques au Liban, en promouvant la culture et la protection de l’environnement.
“Le développement équilibré entre toutes les régions, est l’un des piliers de l’unité de l’Etat et de la stabilité du régime. A cet égard, nous estimons que la décentralisation administrative élargie est un facteur déterminant du développement, ainsi que la réparation des disparités sociales, culturelles et économiques séparant les différentes régions. Pour ce, il est impératif d’accorder une importance toute particulière au retour des déplacés et de clore ce dossier de manière définitive.
“Notre conviction profonde en la légitimité internationale, basée sur les principes de la justice et du droit, nous dicte le respect des résolutions et des chartes de l’ONU. En conséquence, nous appuyons la formation du tribunal international qui doit statuer sur l’assassinat du président-martyr Rafic Hariri et de ses compagnons, ainsi que sur tous les attentats afin que justice soit rendue.
Stratégie de défense nationale et relations privilégiées avec la Syrie
“La création de la Résistance était un besoin du fait de l’effritement de l’Etat. Cette Résistance a pu poursuivre le chemin, grâce à l’appui que lui ont apporté le peuple, l’Etat et l’Armée. Son triomphe contre l’occupant est dû au courage et à la bravoure de ses combattants et à la gloire de ses martyrs.
“Néanmoins, l’occupation des fermes de Chebaa et les violations permanentes de notre souveraineté par l’ennemi israélien, requièrent l’élaboration d’une stratégie de défense nationale pour protéger la patrie, en concomitance avec un dialogue calme et ce, pour bénéficier du potentiel de la Résistance dans le cadre même de cette stratégie. De sorte que ses exploits ne soient pas utilisés dans les conflits internes, que ses valeurs et sa position nationale soient préservées. Cette journée coïncide avec la Journée nationale de la libération et de la victoire. Que cette commémoration nous motive et nous incite à prendre conscience des dangers qui nous guettent, à renouveler notre attachement à la li-berté et à la démocratie pour lesquelles nous avons tant sacrifié.
“Dans cette perspective, s’inscrit la nécessité d’une action continue qui vise à libérer nos détenus et nos prisonniers, à faire la lumière sur tous les disparus et à récupérer nos citoyens qui ont cherché refuge en Israël. La patrie est à même d’accueillir tous ses fils.
“Le Liban a toujours cherché à renforcer ses liens avec tous ses frères arabes. Nous aspirons donc à des relations de fraternité entre le Liban et la Syrie, sur base du respect mutuel de la souveraineté et des frontières de chaque pays, ainsi que de l’éta-blissement de relations diplomatiques qui pro-fiteront aux deux pays. L’essentiel est d’instaurer des relations privilégiées, sur un pied d’égalité, loin des imperfections passées. Nous devons tirer les leçons du passé, afin de garantir la sécurité et la prospérité des deux pays.
“Messieurs,
“L’Etat ne peut tolérer le moindre acte dont l’objectif est de déstabiliser l’ordre et la paix. Il n’acceptera en aucun cas que des hommes soient exploités comme chair à canon du terrorisme ou que l’on avance la sacralité de la cause palesti-nienne comme prétexte pour instiguer des troubles, comme certains l’ont fait, il y a un an, lorsqu’on a agressé l’Armée libanaise.
“Conjuguons nos efforts pour pallier les répercussions de ce qui s’est passé, relier ce qui a été coupé, panser les blessures et poursuivre la reconstruction. La douleur nous a brisés; misons, alors, sur l’espoir. Le fusil ne sera pointé que contre l’ennemi et nous ne permettrons pas qu’il soit dirigé vers une autre direction.
“Notre refus catégorique de l’implantation ne si-gnifie pas que nous refusons d’accueillir nos frères palestiniens ou d’améliorer leurs conditions humanitaires. Notre position a pour but de préserver le droit de retour aux réfugiés palestiniens dans un Etat palestinien viable. Sur ce point, le Liban insiste sur l’application de l’initiative arabe, lancée à Beyrouth, lors du sommet arabe en 2002.
Renforcer le moral de la troupe
“Les forces armées, en tête desquelles figure la troupe, ont gagné la confiance du peuple libanais au cours des dernières années, en raison d’importantes et historiques réalisations, allant de la préservation de la démocratie et de la paix civile au déploiement après une absence de plus de trois décennies au Liban-Sud, en passant par la lutte contre l’ennemi et le terrorisme. Ces réalisations furent chèrement payées par certains de nos meilleurs éléments.
“Toutefois, les derniers incidents sécuritaires ont donné l’impression que les forces armées n’ont pas assumé entièrement le rôle qui leur incombe. De ce fait, la préservation d’un minimum d’entente et, partant, la présence de la couverture politique nécessaire, contribueront à éviter à l’avenir une réédition de ce qui s’est passé. En plus, il est impératif de renforcer le moral de ces forces sur le plan national, de les équiper et d’encourager les jeunes élites à s’y engager.
“Messieurs,
“En ce jour, je souhaite remercier la Ligue arabe et son secrétaire général, pour avoir embrassé la cause de la crise qui a soufflé sur le pays et déployé des efforts fructueux, afin de lui trouver le règlement adéquat. Au nom des Libanais, j’exprime une gratitude profonde à l’Etat du Qatar, à Son Altesse l’émir, à son Premier ministre et au comité mi-nistériel arabe pour leurs efforts sincères, ainsi que pour leur engagement national dans le lancement et l’accueil du dialogue national qui, grâce à eux, a connu le succès et a été couronné par l’accord de Doha.
“Nos remerciements les plus profonds vont, aussi, à tous les pays frères et amis qui ont soutenu la nation et l’ont aidée à surmonter les crises, ainsi qu’aux Etats participant à la Finul, déployée au Sud, en application de la résolution 1701 et leur exceptionnelle performance aux côtés de l’Armée libanaise dans la préservation de la sécurité. Il convient, aussi, de signaler l’intérêt accordé par la Finul au développement et au volet social dans ses régions de déploiement et de l’écho que cette action suscite auprès des populations.
“Libanaises, Libanais,
“Trop de travail nous attend. Mon serment aujourd’hui est un engagement de ma part, tout comme votre volonté l’est aussi. Evitons de nous disperser en promesses. Abordons la réalité et ses différents domaines dans le cadre de nos capa-cités. Usons de l’appui de nos frères et amis. Unissons-nous. Soyons solidaires et marchons ensemble vers une réconciliation inébranlable, afin de faire naître l’espoir dans le cœur de nos enfants, de lancer des initiatives pionnières, créatives et courageuses, d’œuvrer à la création d’un Etat civil capable, basé sur le respect des libertés publiques, religieuses et d’expression. Notre unité nationale nous a coûté cher; préservons-la ensemble, main dans la main. Dieu est avec l’action collective”.
“Vive le Liban!” |